La lettre essentielle d'une prof à ses étudiants futurs enseignants

Louvain-la-Neuve, le 11 décembre 2023

Chers étudiants, Chères étudiantes,

On connait ces belles lettres que d’anciens élèves, illustres ou illustres inconnus, adressent à un enseignant qui a changé leur vie, qui les a fait grandir, qui les a lancés, leur a donné confiance en eux, leur a donné le gout, la passion de… de vouloir devenir. Aujourd’hui, c’est l’inverse. C’est moi, une de vos enseignantes, qui veux vous écrire. Et je veux vous écrire parce que je suis en colère et que j’ai besoin que vous entendiez cette colère. Non… pas contre vous. Loin de là.

Je suis en colère contre le journal Le Soir, contre La Libre aussi, contre tous ces journalistes qui, une fois encore, ont fait le choix de titres racoleurs, désespérants, dénigrants, rabaissants pour présenter à leurs lecteurs les résultats du test de maitrise de la langue que vous avez présenté le 17 octobre dernier. « En première année de formation, seulement un futur prof sur cinq maîtrise la langue française » (La Libre), « En première année, seul un futur enseignant sur cinq maîtrise la langue française » (Le Soir). Comment s’est opéré le choix de ces titres ? Je me le demande. Car, vous le savez comme moi, le choix d’un titre n’est jamais neutre. Le communiqué de l’ARES, ils l’avaient pourtant reçu, ce communiqué qui dépliait la note, qui en expliquait le montage. Ainsi, ils auraient pu choisir comme titre, par exemple : « Magnifique ! Près d’un étudiant futur enseignant sur deux maitrise très bien l’orthographe française à l’entrée des études ! » ou encore « Deux tiers des étudiants futurs enseignants ont pu démontrer leur compréhension fine d’un texte scientifique en tout début de formation ! » Mais non… ils ont préféré le « seul », le « seulement », le manque, le déficitaire, le « ça ne vas pas », le « ils ne savent plus rien faire », le « qu’est-ce qu’ils sont mauvais, quand même… », toutes ces pleurnicheries qui se cachent derrière le « seul » et le « seulement ».

Et nous voilà, vous et moi, une fois de plus, avec ça sur les bras. À devoir travailler, avant toute chose, à restaurer une confiance en vous que la société dans son ensemble, dont les médias ne sont jamais que les pauvres petits porte-parole, se plait à écorner, à casser, pour des raisons qui me sont opaques. Bashing anti-profs, me disait un ami ? Bashing anti-jeunes ? A moins que cela soit les deux à la fois. Peu importe. Le rôle de l’école ne devrait pas être d’éteindre les incendies que la société allume. Ont-ils seulement conscience, ces journalistes, de l’état dans lequel vous nous arrivez parfois ? Trop facile de dire que l’école vous a cassés. L’école fait partie de la société, non pas l’inverse.

Le taux de réussite de 21% dont la presse se lamente vient du fait que, vous le savez comme moi, pour réussir l’épreuve, il fallait réussir trois critères ou conditions cumulatives : la compréhension fine d’un texte scientifique dans le domaine des sciences de l’éducation, au dispositif énonciatif complexe, ET la production d’un texte argumentatif ET le fonctionnement de la langue. Un bon cinquième des étudiants a réussi ces trois critères.

Alors, que nous disent vraiment les résultats de cette première édition, beaucoup moins désespérants qu’il n’y parait ? Ils nous disent au moins deux choses.

En amont, ils nous disent tout d’abord que l’école a fait du bon travail ! Nos étudiants, c’est-à-dire vous, quand vous vous appliquez un minimum, comprenez des textes d’un niveau de littératie élevé et êtes capables d’orthographier correctement vos productions.

En aval, ils nous montrent, à nous, formateurs d’enseignants, ce sur quoi il faut mettre l’accent : pas tellement sur la sacrosainte orthographe, mais bien sur vos compétences profondes à développer une pensée par écrit, de façon nuancée et pertinente, à pouvoir donner votre avis pour prendre une part active dans la société. À pouvoir identifier précisément cet avis, le nourrir de la pensée d’autrui, dialoguer avec elle, pour finalement écrire ce que vous avez dans la tête ou dans le ventre. À Susciter chez vous l’envie de vous exprimer et à vous outiller pour le faire puissamment et en confiance. Voilà la grande leçon de ce test. Souvenez-vous de cette vidéo de Martine Arpin qui, dès le premier jour de la première primaire, considère que ses élèves sont des auteurs. Pas des futurs auteurs. Pas seulement une petite poignée d’entre eux. TOUS. DÉJÀ. C’est ce regard positif et confiant sur vos capacités que la société vous refuse avec ses "seul" et ses "seulement".

Ce qu'il faut que vous appreniez à maitriser, ce sont les outils et les canaux de la communication et que vous appreniez à vous en servir pour vous faire entendre. Car, tant que le lion n’aura pas appris à écrire, l’histoire continuera à glorifier le chasseur, dit le proverbe. Et je vous assure que l’orthographe suivra. Quand on a envie d’être lu, par des vrais lecteurs, l’orthographe, on sait la « maitriser ».

Pour terminer, sachez que la société a besoin de vous, de votre courage et de votre idéal. En vous engageant dans ces formations, vous faites le pari de l’avenir, d’un avenir collectif possible. Vous êtes nos jeunes. Ne vous laissez pas atteindre par les grincheux. On va gagner. On vous aime et on est fiers de vous.

Cécile Hayez, didacticienne du français et de la communication au Département pédagogique de Namur

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